L’histoire du cinéma américain : la terre en héritage

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L’histoire du cinéma américain : la terre en héritage

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« La terre, c’est la seule chose qui vaille la peine que l’on se batte, que l’on se sacrifie pour elle, parce que c’est la seule chose qui dure », scandait le père de Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent, symbolisant ainsi la passion de tout un pays pour ses valeurs fondamentales. Qu’en est-il de ces valeurs aujourd’hui, en particulier au cinéma ? De la jeunesse qui se rebellait sans cause dans les années 1950 aux adultes perplexes vus dans certains films sortis dernièrement, le cinéma américain a effectué un virage passionnant et représentatif des inquiétudes de toute une nation.

Jolie Bobine nous raconte aujourd’hui l’histoire du cinéma américain : la terre en héritage.

C’est une péniche qui stagne sur un fleuve dans Mud, de Jeff Nichols. C’est une moto qui fonce sur une route qui paraît sans fin dans The Place Beyond the Pines, de Derek Cianfrance. C’est une voiture qui roule à travers des champs s’étendant à perte de vue dans Promised Land, de Gus Van Sant. Dans de nombreux films américains récents, les adultes sont en roue libre, semblent perdus. Qu’est devenue la grande, la belle Amérique, celle qui faisait rêver les personnages d’Elia Kazan dans America America ou danser les amies et les sœurs portoricaines de Maria dans West Side Story ? Aujourd’hui, l’Amérique courbe l’échine, est renvoyée à ses failles. Les adultes ne savent que penser de ce pays qu’ils vont laisser à leurs enfants.

Rebelles sans cause

C’était pourtant il n’y a pas si longtemps, rappelez-vous (façon de parler)… James Dean dans son t-shirt blanc légendaire qui se heurtait à la figure suprême du Père, dans le sublime À l’est d’Eden de Kazan ou dans le moins sublime mais tout aussi culte Rebel Without a Cause (stupidement traduit en France par La Fureur de vivre). Marlon Brando qui traînait son corps endolori et son visage tuméfié dans le port de New York dans Sur les quais, de Kazan toujours… Dans ces années-là, beaucoup de films américains se positionnaient du côté de la jeunesse, et cette dernière était perdue, ne savait comment recevoir ce pays en héritage. Les adultes, déboussolés face à une jeunesse rebelle, étaient néanmoins sûrs de leur patrie, fiers d’un pays aussi grand que les États-Unis. James Dean est devenu un symbole aussi fort parce qu’il représentait justement toute une jeunesse désorientée, qui avait peur de devenir adulte et d’assumer ses responsabilités. Les États-Unis étaient florissants mais le rêve américain pouvait aussi sembler écrasant pour des jeunes dont on n’écoutait pas les tourments, qui pouvaient sembler minimes à côté de la grande Histoire.

James Dean et Raymond Massey dans une scène culte de À l’est d’Eden.

Alors on faisait des courses de vitesse en voiture, on jouait sa vie sur rien, comme les jeunes inconscients qu’incarnent Nathalie Wood et James Dean dans La Fureur de vivre. Ce film nous montre des adultes refusant de comprendre la jeunesse, tout ennoblis qu’ils étaient après les épreuves que l’Amérique venait de passer et de réussir. L’Amérique du Nord était alors la contrée des drive-in, des milkshakes, des grosses voitures. Un film comme American Graffiti en est l’emblème parfait. Que ce soit dans Outsiders de Francis Ford Coppola, American Graffiti de George Lucas ou dans les films de James Dean, le cinéma américain représentant la jeunesse des années 1950 ou 1960 dépeignait celle-ci comme étant en révolte contre l’ordre établi par les aînés, sans avoir véritablement de raison pour cette colère peut-être inhérente à leur âge.

C’était bien le problème : ils cherchaient une cause pour se rebeller et n’en avaient pas. La guerre au Vietnam en fournirait une à la génération suivante. Marlon Brando dans Sur les quais ou L’Équipée sauvage est un autre acteur symbolique de cette époque de grande confusion pour la jeunesse.

“Alors on faisait des courses de vitesse en voiture, on jouait sa vie sur rien…”

Cette rébellion de principe est d’ailleurs clairement exprimée à travers l’une des répliques de L’Équipée Sauvage, lorsque l’un des personnages demande à Brando : « Eh Johnny, tu te rebelles contre quoi ? » Ce à quoi il répond : « Tu as quoi à me proposer ? » Le conflit générationnel ne trouvait pas d’explication précise, il était juste là, c’était un fait accompli. Dans À l’est d’Eden, une séquence est d’ailleurs révélatrice : celle où Cal, le personnage qu’incarne James Dean, tente de prendre dans ses bras un père qui ne l’a jamais compris ou véritablement aimé, pour aller ensuite pleurer, seul pour toujours. Le père se met du côté du bon frère Aron (Richard Davalos), qui symbolise quant à lui un conformisme révoltant. Cette scène oppose donc le conflit évident entre deux générations : elle exprime la confusion de la jeunesse face au patriarcat, mais aussi et surtout une opposition entre le jeu d’un acteur old school tel que Raymond Massey et une bombe de l’Actor’s Studio, Dean le nouveau prophète… Massey avait d’ailleurs beaucoup de mal à supporter le jeu avant-gardiste de James Dean et ses improvisations fréquentes durant le tournage.

Les États-Unis, un « jouet cassé » ?

Aujourd’hui, le pays a changé. Les films aussi. Quoi de commun entre le Matthew McConaughey de Mud, le Ryan Gosling de The Place Beyond the Pines et le Matt Damon de Promised Land ? Ce sont tous les trois des anti-héros, comme l’étaient Brando ou James Dean. Mais cette fois, les anti-héros sont des adultes. Le désemparement a changé de côté, et ce sont les adultes qui sont à présent en proie au mal-être dans le cinéma d’auteur américain. Aujourd’hui, la jeunesse au cinéma américain est majoritairement écervelée (Spring Breakers), assassine (Bully), allumeuse (Thirteen), obsédée (SuperGrave), en tout cas dénuée de vraies préoccupations pour le pays. Qu’est-il arrivé au mal-être existentiel de Dean et ses semblables ? A-t-il disparu tout à fait pour laisser place à la génération MTV, ou bien la nonchalance des jeunes aujourd’hui n’est-elle qu’une version de la stratégie de l’autruche ? Les cinéastes s’intéressant à la jeunesse aujourd’hui essaient de répondre à ces questions. Il n’empêche que ce sont clairement les adultes qui maintenant portent le fardeau de l’avenir. Quel avenir pour leurs enfants, quel avenir pour leur pays ? La question est multiforme.

Sean Penn et Kevin Bacon dans Mystic River.

La transmission dans le cinéma américain est d’abord une transmission de valeurs. Les grandes valeurs américaines sont connues : la famille, le travail, la valeur de l’argent, la valeur de la terre. Qu’en est-il aujourd’hui ? On assiste à un éclatement de la cellule familiale (on compte aux États-Unis un divorce toutes les 13 secondes), un secteur de l’emploi qui commence à peine à se relever (le chômage passe de 10% en 2009 à 7,5% en 2013), la perte du sacro-saint AAA et un retard considérable en écologie par rapport aux autres puissances mondiales (un exemple : les États-Unis n’ont toujours pas ratifié le protocole de Kyoto). La tristesse du regard de Ryan Gosling et de Bradley Cooper dans Beyond the Pines est-elle alors symptomatique du malaise de tout un pays ? Un cinéaste tel que Clint Eastwood, quoique perpétuant un cinéma classique hollywoodien, incarne également une certaine vision de l’Amérique, qui passe doucement de l’innocence à l’obscurité. Un film comme Mystic River est l’illustration de la notion du temps qui passe et qui détruit l’homme, l’emmène au néant – mais il pourrait aussi être un symbole du pays en lui-même, de la déliquescence comme corollaire du temps qui passe.

“Le temps de l’enfance n’est plus, les heures sombres sont arrivées.”

Le temps de l’enfance n’est plus, les heures sombres sont arrivées. Clint Eastwood déclara lui-même à propos du film : « L’histoire avance comme un train de cauchemar dont on ne peut sortir. » Eastwood, en tant que réalisateur de Mystic River, et c’est une des grandes forces du film, ne se positionne d’ailleurs du côté de personne. Les valeurs de bien et de mal se nuancent. Eastwood ne sait plus, émet des doutes, reste neutre. Les États-Unis font de même. Un certain nombre d’acteurs hollywoodiens s’interrogent d’ailleurs régulièrement sur leur pays. Johnny Depp a une fois comparé son pays à un « chiot imbécile », s’attirant par ses propos de nombreux détracteurs : quoi, un acteur tel que Depp, osant s’en prendre à son propre pays ! Depp avait d’ailleurs poursuivi l’interview en comparant les États-Unis à un « jouet cassé ».

Une certaine Amérique

Les films de Robert Redford sont eux aussi représentatifs d’une certaine Amérique. Robert Redford, c’est l’incarnation d’une Amérique idéale, aux valeurs droites et saines mais jamais bien pensantes ou démagogiques. L’amour de la terre est visible dans nombre des films du créateur du festival de Sundance. Et au milieu coule une rivière est une déclaration d’amour à l’Amérique rurale, celle où la nature fait encore loi, où une partie de pêche prend des apparences de messe. Cette vision presque animiste de la nature traduit le profond amour et la foi inébranlable de Redford pour son pays. Le festival de Sundance a d’abord été créé au fin fond de l’Utah afin que les cinéastes puissent travailler en communion avec une nature accueillante. « La terre, c’est la seule chose qui vaille la peine que l’on travaille, que l’on se batte, que l’on se sacrifie pour elle, parce que c’est la seule chose qui dure » disait avec pathos le père de Scarlett O’Hara dans Autant en Emporte le Vent. La terre est une valeur essentielle aux États-Unis, depuis toujours : elle est ce que l’on achète et qui est à soi puis que l’on transmet à sa descendance. Nombreux sont les Américains qui se marient dans la maison de leur enfance, sur leur territoire. La terre est synonyme d’histoire, même si on la cultive pour un autre. C’est en tout cas un bien que l’on respecte. Promised Land est un film qui ramène à la réalité. Qu’est devenue la terre aujourd’hui, sinon un autre synonyme d’argent ? Les agriculteurs du film de Gus Van Sant hésitent entre l’argent que pourrait leur apporter leur terre s’ils la cédaient à la multinationale Global, représentée par le personnage de Matt Damon, et la santé de la terre qu’ils vont transmettre à leurs enfants, que le forage des puits de gaz de schiste empoisonnerait irrémédiablement. L’argent obtenu (le « fuck you money » comme l’appelle Damon) pourrait payer l’université à leurs rejetons, mais l’intervention de Global sur leur terrain pourrait aussi coûter des vies. Les valeurs alors s’entrechoquent : l’argent ou la terre, la santé ou l’éducation.

Un film comme Mud dépeint l’innocence de l’enfance face à des adultes d’abord mis sur un piédestal, puis qui se révèlent décevants. Le personnage de Matthew McConaughey est d’abord un héros pour le jeune Ellis, puis une source de doutes. Il œuvre, isolé de tous, pour pouvoir enfin vivre son amour avec la femme de sa vie… Cette vision idéaliste se modifiera au cours du film, car le grand amour de Mud s’avérera plus compliqué qu’Ellis ne le perçoit au début. Mud a plusieurs visages. Ellis ne sait plus qui croire. Peut-on encore faire confiance aux adultes ? Mud fait des promesses pour mieux manipuler. Mais le film nous met à la place de l’adolescent : qui croire, ses parents qui se déchirent à bord d’une péniche en eau stagnante, ou un héros vêtu de blanc, travaillant de ses mains (la valeur du travail manuel !) pour obtenir enfin la valeur américaine suprême : la liberté. Mud transmet donc à Ellis, malgré ses supercheries et ses contes, la valeur de la liberté et la valeur de l’amour. Jeff Nichols se met du côté des innocents, refuse l’abolition pure et simple des illusions. La foi dans les yeux d’Ellis sera rétablie, et il aura appris une leçon. La transmission aura eu lieu, le film pourra prendre fin.

“Les visages rêveurs de James Dean et de Marlon Brando demeurent ceux des prophètes d’une époque maintenant révolue.”

Lointain paraît le temps où une jeunesse paumée soignait son mal-être par la vitesse des courses de voiture, les combats au couteau, la lutte constante contre le monde adulte. Les visages rêveurs de James Dean et de Marlon Brando demeurent ceux des prophètes d’une époque maintenant révolue. Les milkshakes ont été bus, les voitures ont été vendues ou envoyées à la casse, et le pays « du lait et du miel » a bien évolué. Les États-Unis ont grandi et regardent maintenant l’avenir et l’évolution de leur pays avec un œil inquiet, peut-être plus lucide. Leur cinéma en est le témoin. D’abord trépignant pour se construire, les États-Unis songent à présent à ce qu’ils vont laisser derrière eux.

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